T4T 3 - Le Carnot IFPEN Transports Energie travaille toutes les voies de la mobilité décarbonée
Version intégrale de l’interview avec Gaëtan Monnier, publiée dans le 3ème numéro de Time for Transition
Labellisé Institut Carnot dès 2006, IFPEN Transports Energie décline ses travaux de recherche autour de trois axes principaux : la mobilité électrifiée, la mobilité déconnectée et la mutation des motorisations thermiques. Gaëtan Monnier, son directeur, nous en présente les objectifs principaux et revient sur quelques actions en cours.
TF : Pouvez-vous nous présenter IFPEN Transports Energie et les principales évolutions que vous constatez dans le cadre des recherches menées par l’Institut ?
GM : Tout d’abord, il faut souligner que nous travaillons les deux axes de la stratégie d’accélération pour la digitalisation et la décarbonation de la mobilité à travers nos travaux sur les systèmes de propulsion pour différents vecteurs d’énergie et ceux sur la mobilité déconnectée. Sur ces derniers, nous travaillons sur les logiciels d’ingénierie et l’analyse des données de mobilité pour enrichir les services aussi bien pour optimiser le véhicule que pour améliorer son usage par l’utilisateur, à l’exemple de notre App GecoAir lancée il y a quelques années mais qui évolue en permanence.
Concernant l’automobile, on va vers l’électrification : l’Europe va décider d’arrêter la vente de véhicules émetteurs de GES à horizon 2035, autrement dit demain. On passe du tout thermique au tout électrique : c’est radical pour l’industrie. D’autres secteurs de la mobilité se développent en parallèle comme les vélos, trottinettes ou autres. L’industrie pour la mobilité individuelle est donc réellement en train de basculer.
Mais à côté de cela, il est nécessaire de trouver des solutions pour le transport de marchandises. Ici, la solution électrique présente deux contraintes suivant l’usage : le temps de charge et le coût et la taille de la batterie. Une alternative est donc d’améliorer les motorisations traditionnelles et d’utiliser des carburants de moins en moins carbonés au sein des combustibles fossiles (GNV) ou passer à d’autres solutions comme les biocarburants ou les carburants de synthèse.
Si on prend l’exemple de l’avion où le tout électrique n’est pas envisageable, deux possibilités se font jour : soit on améliore la technologie actuelle mais en utilisant des carburants durables (ou « SAF »), soit on passe à l’hydrogène mais cela suppose d’opérer des modifications, en particulier sur la taille des réservoirs car à même énergie, l’hydrogène nécessite quatre fois plus de volume, ce qui impose de revoir l’architecture de l’avion.
Au-delà de l’électrification pour les usages qui la permettent (petits véhicules ou petits trajets), une des voies actuellement poussées est donc de décarboner le carburant plutôt que de changer radicalement le système de propulsion. Cependant, outre la question des volumes, les biocarburants et les carburants de synthèse ne doivent pas soulever de problèmes de compétition entre les usages. Enfin, la solution hydrogène pour la mobilité n’a de sens que si l’hydrogène, utilisé directement comme carburant ou indirectement dans des carburants de synthèse, est décarboné.
Au final, pour l’automobile, on converge vers une solution électrique quasi-unique appuyée par des outils numériques qui permettent d’atténuer encore plus l’impact environnemental. Mais pour le transport routier, la solution unique n’existe pas. Tout dépendra des usages. Cela vaut aussi pour les engins de chantier de type pelleteuses ou autres.
IFPEN Transports Energie a participé avec huit autres Carnot à l’action filière Carnauto qui s’est achevée fin 2021 après six ans de travaux. Quel bilan en dressez-vous ?
Carnauto a permis de fédérer un groupe de neuf instituts Carnot pour développer la recherche dans les petites structures du secteur automobile (TPE, PME et ETI ) qui sont en plein bouleversement. Pour mémoire, en 2015, le Diesel représentait 60 % des ventes. Aujourd’hui, on est à moins de 20 %. Les acteurs avaient besoin d’aide soit pour se lancer, soit pour se transformer et/ou se repositionner.
A travers Carnauto, pas moins de 50 M€ de recherche contractuelle ont été générés en six ans, dont la moitié avec des PME. Nous avons mis à disposition nos compétences et nos moyens innovants et nous nous sommes fait connaître au travers de démarches spécifiques notamment en régions. Nous avons regroupé nos offres dans une plateforme unique. Grâce à l’ANR et son appel à projets qui a structuré la démarche, il y a eu un véritable élan vers les petites structures, celles-ci n’étant pas nécessairement familières avec l’écosystème de la recherche comme peuvent l’être les grandes entreprises.
L’action filière Carnauto visait à répondre aux besoins des industriels dans trois défis majeurs pour leur avenir : motorisation et vecteurs énergétiques ; matériaux et architecture ; TIC et mobilité. Les offres que nous avons proposées ont notamment porté sur l’amélioration de l’existant mais aussi sur tout ce qui relève de la caractérisation, de la validation ou de la quantification des projets et technologies étudiés. On a aidé nos cocontractants à se développer et à aller vers d’autres marchés.
En parallèle, l’action Carnauto a également permis de faire connaître aux chercheurs le monde des petites structures qui ont besoin de résultats concrets et rapides. De fait, on a pu observer une bonne confrontation à plusieurs niveaux : visibilité, pragmatisme, échelle de temps…
On l’a vu : la mobilité durable ne se résume pas à l’électrique. IFPEN Transports Energie travaille sur des solutions de combustion à moindre impact parmi lesquelles l’adaptation de moteurs poids lourds à l’hydrogène. Pouvez-vous nous en dire plus ?
On est toujours dans l’optique de trouver la solution la mieux adaptée à l’usage. Chez IFPEN, nous avons deux approches sur la mobilité hydrogène : la PAC à hydrogène couplée à une motorisation électrique mais aussi le moteur à combustion avec l’hydrogène utilisé comme combustible. BMW l’avait fait dans les années 2000 mais les performances n’étaient pas bonnes. Aujourd’hui, les nouvelles technologies de moteurs turbocompressés et les systèmes d’injection directe se prêtent très bien à l’hydrogène et cela marche aussi bien pour les poids lourds que pour les véhicules utilitaires : les performances sont bonnes en termes de puissance et de rendement sans émissions de carbone. Mais comme il s’agit d’une combustion, il y a des risques d’émissions d’oxydes d’azote (NOx). D’où la nécessité de réduire la température de combustion pour éviter leur formation. Nous le faisons principalement en utilisant de l’air en excès, ce qui permet de diviser par cent les NOx émis par rapport à ceux des moteurs Diesel.
Nous sommes bien avancés dans le projet MH8 mené avec Renault Trucks : le moteur fonctionne sur notre banc d’essai à Solaize et sera monté sur véhicule en 2023. La technologie est globalement la même puisqu’il s’agit d’un moteur à pistons. Au-delà du système spécifique d’injection d’hydrogène et de l’alimentation en air pour réaliser l’excès d’air, certaines pièces doivent être changées car l’hydrogène a tendance à fragiliser certains métaux. Des adaptations sont donc nécessaires si l’on veut que la solution ait une durée de vie élevée.
Un autre projet plus récent (HyMot) traite d’une application menée avec Bosch sur un véhicule utilitaire (Master de Renault) afin de montrer que la décarbonation de ce type de véhicules est possible via la conversion de son moteur thermique à l’hydrogène, en alternative à une électrification couplée à une PAC à hydrogène(1).
Dans tous ces domaines, il est nécessaire de comparer les solutions selon les usages. Les deux aspects fondamentaux sont le coût total de possession et l’impact environnemental. Par exemple, si la solution PAC offre un rendement plus élevé à l’usage, elle coûte plus cher à fabriquer.
1) Ces projets ont été retenus par le CORAM (Comité d’orientation pour la recherche automobile et mobilité) mis en place dans le cadre du plan de relance de la filière automobile.